En milieu d’après-midi, Mme Marjorie Champagne (MC), journaliste accomplie et animatrice à l’émission du matin de CKIA à Québec, a animé un panel. Ses invités étaient Alexandre Boulerice (AB), député du Nouveau Parti démocratique (NPD) pour la circonscription montréalaise de Rosemont–La Petite-Patrie, et Louise Chabot (LC), députée du Bloc québécois pour la circonscription de Thérèse-De Blainville, sur la rive nord de Montréal.
Infirmière de profession, Mme Louise Chabot (LC) a pratiqué pendant une dizaine d’années. Celle-ci a commencé comme déléguée dans son syndicat local au début des années 1980, puis est restée engagée syndicalement jusqu’en 2018, notamment comme présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ).
Alexandre Boulerice provient de LCN et TVA où il était journaliste rédacteur-monteur et membre du SCFP 687. Il a été vice-président de la section locale pendant quatre ans. Puis, il a été conseiller syndical au Service des communications du SCFP pendant 10 ans. Il est toujours en congé sans solde du SCFP, et ce, depuis 12 ans!
Voici un résumé le plus fidèle possible d’une bonne partie de leurs propos. À noter qu’il ne s’agit pas de citations exactes ni d’une transcription littérale.
MC : Qu’est-ce qui vous a poussé à aller en politique? Pourquoi au fédéral? Pourquoi votre parti?
AB : Il y a plusieurs moyens de s’engager pour bâtir une société meilleure : politique partisane, action communautaire, engagement syndical, etc.
Il faut des gens aux parlements pour déposer de bons projets de loi, de bons amendements pour encadrer le discours public dans la bonne direction; il faut des représentants des travailleurs, travailleuses, des syndicats. Il faut que la gauche, les idées progressistes soient présentes au Parlement.
Jack Layton est la raison pourquoi je suis allé au fédéral.
LC : Le syndicalisme, c’est aussi de l’action politique. Prendre en main l’action politique à tous les paliers, c’est très important.
Après 40 ans de syndicalisme, j’avais envie de faire de l’action politique. Yves-François Blanchet m’a convaincue de passer à l’action. J’ai choisi le seul parti sur la scène fédérale qui représente uniquement le Québec et l’indépendantisme.
MC : Pouvez-vous me décrire un combat syndical que vous avez mené par le passé, en tant que syndicaliste, qui impliquait de la représentation auprès de personnes élues?
AB : Lors de la grève à Vidéotron en 2002, puis le lock-out au Journal de Québec en 2007-2008, nous avons fait valoir l’importance de lois anti-briseurs de grève solides.
Si tu n’as pas une bonne représentation au Parlement et dans les comités, tu découvres que ce serait important d’avoir des gens de gauche au Parlement.
LC : Le droit à la syndicalisation des responsables de services de garde en milieu familial. Ça remonte à la mise en place en 1997 du modèle des CPE, avec des éducatrices de CPE et des responsables de milieu familial – ces dernières avaient un statut de travailleuses autonomes. Charest, le premier ministre à l’époque, refusait absolument de les reconnaître comme salariées malgré des requêtes en accréditation pour 10 000 femmes. Il a donc imposé une loi dans ce sens, invalidée par la suite par les tribunaux (jugement Grenier). Ce fut une grande campagne politique et de mobilisation à l’époque – le gouvernement a plié et n’est pas allé en appel. Donc, une victoire pour le droit d’association et le droit de négocier, 15 ans de lutte.
MC : Comme élu aujourd’hui, quelle proportion de votre agenda représentent les rencontres avec les groupes d’intérêt? Est-ce que ces rencontres vous influencent?
AB : Oui, elles nous influencent. On ne dit pas oui à tout. On sélectionne les causes qui nous semblent justes, on n’a pas le temps de tout recevoir. Ça nous aide à nous éduquer. Vous connaissez les lois, règlements, dossiers qui touchent vos membres. Il ne faut pas être intimidé par les députés : ils connaissent le Parlement, leur programme, mais c’est vous qui devez leur apprendre des choses, pour qu’ils sachent comment améliorer vos vies.
Ça occupe presque la moitié du temps. Par exemple, il y a 400 groupes communautaires dans mon comté.
LC : Ça occupe une bonne partie de nos fonctions, il y a beaucoup de lobbys à Ottawa. On tente de les rencontrer tous, avec parfois deux rencontres par jour. C’est extrêmement précieux, et votre rôle comme syndicat est majeur. Tout le Code canadien du travail a d’importantes conséquences sur le monde du travail du Québec, et il a besoin d’être modernisé. Du logement social au cancer en passant par beaucoup d’autres dossiers, on a besoin de l’expertise des groupes sur le terrain. Il y a beaucoup de lobbys à Ottawa, mais aussi sur le plan local, notamment pour le logement et la mobilité.
MC : Dans la vie d’un projet de loi, quel est le meilleur moment pour rencontrer un député? Comment se préparer à la rencontre?
AB : Au début, dès le dépôt, ça peut être intéressant. On a des discussions privées en caucus, et dès ce moment, on a des débats : on appuie tel quel, on appuie avec modifications ou on est contre. Dès le début, c’est important d’agir. Une partie de la bataille va se jouer là.
Ensuite, à la deuxième lecture et à l’envoi en comité pour étude, c’est le moment de modifier et d’amender. C’est un autre moment très important.
LC : J’ai déposé un projet de loi d’initiative anti-briseurs de grève, Alexandre l’a fait aussi. Il est soumis au tirage au sort. C’est important en tout temps, les rencontres, mais à l’étude article par article en comité, c’est majeur. En plus des manifs, des mobilisations et des mémoires en commission, le lobbying est très important.
AB : Il faut ajuster son argumentation en fonction de la personne : d’où elle vient, qu’est-ce qui l’intéresse et comment elle approche les dossiers. C’est un genre de speed dating, il faut voir comment toucher la personne et la convaincre de travailler dans votre intérêt.
LC : Le temps est serré dans nos agendas. Allez-y avec ce que vous jugez majeur, priorisez les points les plus importants, qui sont dans l’actualité ou qui devraient l’être. Ne vous empêchez pas de rencontrer même les plus réfractaires. Par exemple, sur l’assurance-emploi, peut-on trouver des alliés du côté conservateur? Les conservateurs de différentes régions du pays ont différentes sensibilités.
Je salue d’ailleurs votre travail sur la loi anti-briseurs de grève. J’apprécie les collègues du SCFP qui nous rencontrent dans nos bureaux de circonscription, qui nous démontrent les répercussions de leurs dossiers sur le terrain.
MC : Est-ce que certains lobbys sont avantagés, sont mieux équipés pour faire leur travail?
LC : Il y en a de gros, de puissants. Les entreprises pétrolières sont très puissantes, pas du tout du même ordre que le lobby des personnes en situation de handicap qui veulent défendre leurs droits, par exemple. La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) a beaucoup d’influence sur les partis au pouvoir dans des dossiers comme les lois anti-briseurs de grève ou l’assurance-emploi.
Mais les syndicats sont aussi des forces importantes qui peuvent faire bouger les gouvernements.
AB : Malheureusement, oui, les syndicats sont moins bien outillés que les industries qui payent beaucoup de gens à temps plein comme lobbyistes. Le lobby pétrolier et gazier a plus qu’une rencontre par jour avec un ministre dans une année!
D’un autre côté, le lobby des assistés sociaux ou des locataires « réno-évictés », ça n’existe pas ou presque pas.
MC : Est-ce frustrant de voir ce déséquilibre à faire valoir son point de vue?
LC : Non, pas frustrant, on a compris comment ça fonctionne. Les syndicats représentent beaucoup de travailleuses et travailleurs, et à la longue, réussissent à faire valoir leurs positions. Mais ça ne va pas assez vite.
AB : Ça ne va pas assez vite. Mais en ce moment, on pousse très fort pour faire enfin débloquer plusieurs dossiers fondamentaux. Nous sommes dans une situation très intéressante de gouvernement minoritaire, où nous avons des cartes à jouer qui font la différence.